Larmes d’encre

Il n’y a pas de sang sur le parquet du salon. Les meubles sont époussetés, la table est rangée, le tapis aspiré. Il n’y a pas de bruit dans la maison. Tout est calme, un souffle suspendu sur l’improbabilité, une respiration que l’on retient.

La clé tourne dans la serrure de la porte d’entrée, une poignée s’abaisse, un homme rentre chez lui. Il retire sa veste et l’accroche au porte manteau, avance vers le salon le pain à la main. L’odeur du café flotte dans l’air, la table de la salle à manger est prête pour le petit déjeuner. Il s’y dirige tranquillement les yeux pétillants de plaisirs.  

Un pas de plus, le sourire se fane, le pain tombe au sol, l’enfer vient de crier. Sa compagne est allongée sur le sol, inanimée.

Il se précipite vers elle, s’agenouille à sa hauteur, cherche un pouls, lui hurle dessus. Elle ne se réveille pas. Tremblant, il sort son téléphone et appelle du secours. Comme projeté dans un monde parallèle, il décrit, du mieux qu’il le peut, au médecin en ligne, l’état de sa compagne. Désespéré, il entame un massage cardiaque, un, deux, trois, soufflé. Rien ne fait. Les sirènes de l’ambulance percent les silences. Il court ouvrir la porte, dégage un passage à l’homme en noir et rouge. Isolé sur le côté, il répond aux questions qu’on lui pose sans jamais quitter des yeux celle qu’il aime, celle qui partage sa vie depuis ces deux dernières années. Les hommes tournent autour d’elle, coupent son tee-shirt pour atteindre son cœur qui s’est fatigué. Un premier électrochoc, une injection d’adrénaline, un stéthoscope à la main, ils s’acharnent pour réanimer la jeune femme. Dans un sursaut de résistance, le cœur repart. Elle se bat pour vivre, ses deux petites sont chez leur grand-mère. La transfusion en place, les pompiers glissent son corps sur le brancard, la couvrent d’une couverture pour la maintenir au chaud. Dans le camion qui l’emporte aux urgences, le cœur flanche une seconde fois. Mais les secouristes sont tenaces et le relancent. Arrivée à l’hôpital, la jeune femme est emportée en réa. Le cœur cesse de battre pour la troisième fois. Il ne repartira plus, en tout cas… plus sur ce monde…

 

Stéphanie, 38 ans vient de nous quitter.  

Quelques lignes d’un début de roman dont elle est l’héroïne, mon dernier hommage à cette guerrière des temps modernes qui ne sera plus là pour lire tous les autres livres que je vais écrire.    

Jeune fille rebelle, jeune femme passionnée, femme sereine, les souvenirs de nos échanges me reviennent et je me dis que je n’en ai pas eu assez. Si entière dans ses pensées et ses actions, si généreuse dans son don aux autres et ses amitiés, je pleure des larmes d’encre pour perdurer son souvenir.

À MON AMIE

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